Rédigé par Frédéric Nicolino
On ne porte pas assez d’attention aux timbres d’usage courant oblitérés, c’est un fait.
On les dénigre, et on a tort ! Probablement parce qu’ils ne valent plus grand-chose sur le marché philatélique. Mais c’est ignorer que tout leur intérêt réside justement dans leur faible valeur marchande, qui permet de s’en procurer facilement en grandes quantités, et à moindres frais, puis de se lancer dans des études sur un grand échantillon, comme disent les statisticiens. Et ces derniers savent bien que si l’on veut trouver ou démontrer quelque chose valablement, c’est en s’attaquant au plus grand nombre de cas (ou de timbres) que l’on y parviendra.
La rareté et le prix de certains carnets font qu’il est illusoire de penser en réunir un grand nombre d’exemplaires comme base d’étude. Sauf dans les albums de quelques grands amateurs… Et ils se reconnaîtront, je les remercie pour leur aide de tous les jours. Alors qu’avec les oblitérés, c’est un jeu d’enfant, et de patience, une partie de plaisir.
Il y a quelques années déjà, un correspondant, amateur du 50 c. Semeuse lignée, m’avait contacté suite à une de ses trouvailles. En scrutant un grand nombre de ses oblitérés rouges, il avait découvert une variété d’impression assez nette, visible à l’œil nu, non pas sur un seul, mais sur 3 timbres : une griffure sur le mot FRANÇAISE, et aussi un point blanc sous le C de centimes.
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Il s’agit à l’évidence d’une variété de case, en rapport avec un accident survenu sur le galvano avant l’impression, et se reproduisant au même endroit sur chaque feuille. Mais impossible de savoir si tout un tirage a été touché, ou bien seulement une partie, durant quelques jours ou moins. Pensant qu’il devait s’agir du type II A, le plus courant, j’ai regardé mes blocs et feuilles entières de ce timbre, mais il y avait peu de chances que je tombe sur le bon jour et la bonne planche. La très longue durée d’utilisation de cette valeur a en effet nécessité l’utilisation de 53 planches différentes de 1926 à 1932, avec approximativement 4500 jours de tirage ! Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Je n’avais jamais vu cette griffe sur mes nombreux coins datés non plus.
Ma grossière erreur avait été de ne pas vérifier le type de ces 3 oblitérés : je les avais bêtement négligés ! Car la suite de l’histoire va me prouver qu’il s’agissait en réalité du type II B des carnets à plat (avec II A, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau). Je pouvais toujours me crever les yeux sur mes feuilles et mes coins datés. J’aurais mieux fait d’examiner mes carnets…
Il faut dire aussi que si ces 3 isolés avaient été conservés avec leurs bandelettes publicitaires, cela m’aurait bien aidé…
Faute de réponse à fournir à mon correspondant, j’avais laissé tomber mes recherches, mais pas oublié pour autant. Et voilà qu’hier, sans le vouloir, je tombe sur un joli carnet dans lequel j’ai la bonne surprise de retrouver cette fameuse variété de case : « Eureka ! »
Il s’agit d’un des carnets les plus courants de ce timbre au type II B imprimé à plat, avec des publicités pour La Toile d’Avion. Du mois d’août à la mi-décembre 1928, il est connu avec plus de 70 couvertures différentes, des séries 149 à 157 + certaines localisées. On en croise donc relativement souvent.
Carnet Yvert 199-C44
Vous pensez bien que je me suis précipité pour reluquer d’un peu plus près les miens…
J’ai ensuite contacté un grand collectionneur et ami, pour lui demander de faire de même avec les siens, sachant sa collection d’une richesse incroyable. Et j’ai farfouillé sur internet. Au total, plus de 90 de ces carnets C 44 ont pu être examinés. Nous avions bien entendu repéré que ce coup de griffe affectait la case 6.
Le résultat ne m’a pas déçu :
- On compte 6 carnets porteurs de cette variété (sur 92 carnets = 6,5 %)
- Tous sont en position « bas de feuille » (il s’agit donc de la case 106 d’une feuille de 120)
- Sur l’un des 6, on peut même lire la date d’impression (le 3 octobre)
- Les séries des couvertures sont : 153 Hérault, 155 Allier (x3), et 157 Hérault (x2)
Carnet avec variété de la case 106, daté du 3 octobre 1928, série 155 Allier
Mais ce n’est pas tout !
Tous les carnets « bas de feuille » (21) ne comportent pas cette variété. Et non…ce serait trop simple !
On en a même compté 15 sans ce coup de griffe, dont 4 sont porteurs d’une date d’impression lisible au bas : 3 septembre, 2, 5, ou 9 octobre.
Suivez-moi bien à présent : puisqu’il existe des carnets « bas de feuille » sans cette variété de case imprimés après le 3 octobre, ce n’est pas parce que l’accident a été réparé (on y verrait une retouche), mais tout simplement parce que l’impression se faisait, je vous le rappelle, en feuilles de 240 timbres qui étaient ensuite divisées en 2 pour fournir deux (demi) feuilles de 120.
Une seule de ces 2 (demi) feuilles portait donc notre variété à la case 106, celle de droite si l’on en juge par le verso et sa gomme. Un carnet sur 12 si tout le tirage avait été concerné (8,3 %). Un timbre sur 240.
Autrement dit, l’accident a touché le galvano de service, et non pas le galvano type. Sinon, les deux (demi) feuilles auraient été porteuses du même défaut, et il aurait été impossible de voir le moindre carnet daté après ce 3 octobre qui ne soit pas griffé.
Par ailleurs, cet accident est certainement survenu en cours de tirage. Peut-être même pourrez-vous le trouver à une date antérieure, qui sait ? Cela signifie qu’au début de la fabrication de ces carnets 199 C 44, aucun d’entre eux ne comportait la variété, jusqu’à ce que l’accident survienne…
Et cela explique que sur nos 21 carnets « bas de feuille », on n’en trouve pas approximativement un de touché sur deux, mais seulement 6, soit moins d’un sur trois, 28,5 % exactement. Encore les statistiques !...
Par analogie, les plus assidus se souviendront de la case 116 du carnet PHENIX révélée en octobre 2018, qui se retrouve, elle, sur absolument tous les carnets « bas de feuille », 100 % :
Bien entendu, à présent que vous voici alertés, je ne doute pas que vous puissiez trouver comme moi cette variété de case sur certains de vos carnets ou timbres avec pubs, neufs ou oblitérés (n’oubliez surtout pas ce derniers). Je vous le souhaite.
Vous savez maintenant très précisément où chercher.
Et merci de bien vouloir nous communiquer vos trouvailles.
Frédéric Nicolino, avec l’aide précieuse de Lucien Coutan
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